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Les professionnels de la banque et du droit se sont réunis, comme chaque année, pendant une semaine, à l’initiative du cabinet SIRE OHADA, pour éplucher au regard de l’activité bancaire, les nouveaux actes uniformes adoptés en décembre 2010 et entrés en vigueur le 15 mai 2011.
La cinquième édition de « La Semaine Juridique du Banquier – Espace OHADA » s’est tenue au MARINA HOTEL à COTONOU, du 24 au 28 septembre 2012 et a rassemblé personnel de banques commerciales et de banque centrale (juristes et non juristes), avocats et magistrats. Sur invitation, l’ERSUMA représentée par son chef de service Etudes et Recherches, a également pris part à cette rencontre.
Les travaux ont été co-animés par William KODJOH-KPAKPASSOU, Magistrat, Juge au Tribunal de Première Instance de Cotonou, Juge chargé de la surveillance du RCCM de Cotonou, et par Arlette BOCCOVI, juriste de banque.
Trois actes uniformes ont été présentés à ce séminaire international, édition 2012, sous les modules ci-après :
La révision de l’Acte Uniforme portant Droit Commercial Général : quels apports pour l’activité bancaire ?
Les innovations du nouveau droit des sûretés en rapport avec l’activité bancaire.
L’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Coopératives : Quel intérêt pour l’activité bancaire ?
Dans une présentation générale, Arlette BOCCOVI a expliqué que le choix des modules a été essentiellement dicté par l’actualité juridique. En effet, le législateur OHADA, dans un souci de favoriser la redynamisation de l’activité économique en donnant davantage confiance aux différents acteurs économiques, a procédé à la révision de l’Acte Uniforme portant sur le Droit Commercial Général et de l’Acte Uniforme portant organisation des Sûretés. Le droit OHADA a été également enrichi d’un nouveau texte qui est l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Coopératives.
Le Juge William KODJOH-KPAKPASSOU a souligné pour sa part, qu’il n’y a pas d’investissement sans une justice crédible ; la justice doit inspirer confiance par le professionnalisme de ses acteurs, leurs connaissances et leur pratique du droit. C’est pour lui, une condition sine qua non à la sécurité judiciaire qui accompagne la sécurité juridique. Dans ce même ordre d’idée, professionnels du droit et opérateurs économiques se doivent de s’approprier ces nouveaux textes.
MODULE 1 : « La révision de l’Acte Uniforme portant Droit Commercial Général : Quels apports pour l’activité bancaire ? »
Durant les deux premiers jours du séminaire, participants et formateurs se sont penchés sur les innovations contenues dans le nouvel Acte Uniforme portant sur le Droit Commercial Général (AUDCG), tout en centrant leur analyse sur l’utilité de ce texte par rapport à l’activité bancaire.
Après avoir présenté le champ d’application de l’AUDCG, M. KODJOH-KPAKPASSOU a axé sa communication sur l’analyse des principales innovations de cet acte uniforme, à savoir : le statut de l’entreprenant, la prescription, la preuve électronique, le bail professionnel et la protection des créanciers ainsi que l’informatisation du RCCM.
Le statut de l’entreprenant, ce nouvel acteur économique, a suscité beaucoup d’intérêt et soulevé également des inquiétudes. En effet, sans être immatriculé au RCCM, un entrepreneur individuel, sur simple déclaration enregistrée au RCCM, peut accomplir notamment des actes de commerce et bénéficier de nombreux avantages liés au statut de commerçant, tout en subissant moins les contraintes y afférentes. Si au bout de deux ans d’activité, le chiffre d’affaires de l’entreprenant dépasse les seuils fixés par l’Acte Uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, celui-ci est tenu de se faire immatriculer au RCCM et est alors reconnu comme commerçant, si tel est son activité professionnelle.
Une contrariété contenue dans l’article 30 de l’AUDCG n’est pas passée inaperçue ; l’article 30 prévoit d’une part, que les seuils du chiffre d’affaires sont ceux fixés par l’Acte Uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, d’autre part que ces mêmes seuils sont fixés par chaque Etat Partie. Les participants ont suggéré que la CCJA soit saisie pour avis.
Ce nouveau statut a fait l’objet d’un long débat concernant un type de clientèle des banques et des institutions de micro-finance, composée de particuliers. Il s’agit en majorité de femmes, qui sans être commerçantes, s’adonnent à des activités commerciales et enregistrent d’importantes opérations sur leurs comptes personnels. Selon la politique commerciale des institutions de crédit, ce type de clientèle peut bénéficier on non de crédit. Ce sont des acteurs du secteur non structuré, appelé plus communément « le secteur informel ». Il a été noté que le secteur informel occupe une place importante dans les pays représentés au séminaire, où il concerne 70 à 80% de la population active.
Appréciant les nombreux risques et inconvénients de ce secteur par rapport à l’économie des pays africains en général et à la banque en particulier, les participants, ont fait observé que ce nouveau statut mérite d’être largement porté à la connaissance des opérateurs économiques concernés même s’ils ne sont pas convaincus que celui-ci permettra d’éradiquer le secteur informel en Afrique. Outre le risque de crédit, ce type de clientèle fait également courir aux banques, le risque de blanchiment de capitaux alors que toutes les banques dans le contexte actuel de la mondialisation, sont soumises au respect scrupuleux du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux.
Le statut de l’entreprenant a été souvent évoqué dans les débats tout au long du séminaire ; selon les termes de William KODJOH-KPAKPASSOU, ce statut suscite « attraction » et « prudence ».
A partir de la présentation de quelques aspects du nouveau code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes du Bénin (code des procédures), en vigueur depuis le 1er mars 2012, l’animateur a expliqué le déroulement d’une procédure judiciaire en matière commerciale. Les questions liées à la lenteur dans la reddition des jugements et l’indisponibilité des copies des décisions rendues ont été discutées. Les difficultés liées aux moyens humains et matériels que rencontrent certains systèmes judicaires en Afrique ont été également abordées. Les avocats venus du Burkina Faso ont confirmé connaître les mêmes difficultés, bien que le code de procédure civile ayant institué un juge de la mise en état soit en vigueur depuis 1999.
Le délai assez long que subit une décision rendue par les juridictions nationales avant d’être disponible, paralyse l’exécution des jugements et arrêts, ce qui est fort préjudiciable pour la sécurité judiciaire. La non disponibilité immédiate des décisions rendues par la CCJA a été également déplorée. Les participants ont ainsi souhaité que les instances de l’OHADA puissent travailler sur des politiques communes visant à assurer la sécurité judiciaire.
Les séminaristes ont par ailleurs partagé leurs expériences sur la pratique du guichet unique dans leurs pays respectifs. Ce qui a permis d’évoquer le problème de la tenue du RCCM et de la disponibilité des informations. Même si l’informatisation du RCCM prévue par le législateur du 15 décembre 2010 avec une obligation pour le greffier de répondre dans les 48 heures, peut être considérée comme une avancée, il reste la concrétisation de ce dispositif dans les Etats Parties, encore largement affectés par des défaillances dans la fourniture d’électricité et de la connexion à l’internet.
La preuve électronique constitue justement un autre défi de taille à relever dans l’espace OHADA. Prévu désormais par le législateur comme une preuve juridiquement valable, le document électronique devra tout de même répondre à un certain nombre d’exigences ; malgré l’entrée en vigueur de l’AUDCG, les réformes dans ce domaine se font encore attendre.
Les difficultés liées à la mise en application des textes restent entières.
L’attention des participants a été également appelée sur le régime du bail professionnel qui a remplacé le bail commercial prévu dans l’acte uniforme du 17 avril 1997.
MODULE 2 : « Les innovations du nouveau droit des sûretés en rapport avec l’activité bancaire »
Après avoir rappelé le rôle des établissements de crédit dans le développement économique, Arlette BOCCOVI a expliqué que ce nouveau texte vise principalement à rassurer lesdits établissements dans leur activité de crédit, de manière à leur permettre de financer avec moins de réticence les entreprises et les ménages. L’Acte Uniforme portant organisation des Sûretés, étant l’un des textes les plus usités par les banques, les animateurs ont fait le choix de présenter le texte dans son intégralité en mettant l’accent sur les innovations.
Ainsi, pendant deux jours, participants et animateurs ont analysé au regard de l’activité bancaire, la profession d’agent des sûretés ainsi que chacune des sûretés prévues par le nouvel acte uniforme.
L’acte uniforme présente l’agent des sûretés comme le « professionnel », qui peut constituer, inscrire, gérer et réaliser toute garantie ou sûreté au profit des créanciers qui l’ont mandaté à cet effet ; ce professionnel ne pouvant être qu’une institution financière ou un établissement de crédit. En dehors de l’hypothèse du crédit syndiqué où l’une des banques appelée « chef de file », joue ce rôle pour le compte de l’ensemble des banques créancières, la pertinence de ce nouvel acteur dans la gestion des sûretés reste à démontrer. Les institutions concernées devront-elles être créées spécialement à cet effet ou bien s’agira-t-il pour les institutions existantes de mettre en place un service d’agent des sûretés ? Le cas échéant, serait-t-il aisé pour les banques concurrentes de déléguer à cet agent des sûretés, cette mission importante ? De plus, en conférant à ce professionnel le pouvoir d’« inscrire » et de « réaliser » lui-même les sûretés, le législateur avait-il conscience des prérogatives qu’il lui accorde ? Quelles seront les limites de la mission de l’agent des sûretés par rapport à l’avocat, l’huissier de justice, le notaire et le commissaire-priseur ?
Au titre des sûretés personnelles, le cautionnement qui a connu quelques aménagements, a fait l’objet d’un long débat concernant notamment les difficultés à cerner le patrimoine de la caution, sachant que celle-ci peut s’engager sur l’ensemble de son patrimoine ou sur un bien nommément désigné (« cautionnement réel »).
Les sûretés réelles retiendront davantage l’intérêt des participants. La propriété-sûreté, le transfert fiduciaire de sommes d’argent, le nantissement de créances à titre de garantie, le nantissement de compte bancaire, l’hypothèque extrajudiciaire ont été examinés tour à tour afin d’en déterminer l’utilité concrète pour les banques.
La possibilité de faire réaliser une hypothèque par voie extrajudiciaire, à condition que le bien ne constitue pas la résidence principale du débiteur, a suscité beaucoup d’interrogations. Cette condition liée à la résidence principale devra-t-elle s’apprécier uniquement lors de la constitution de la sûreté ou également lors de sa réalisation ? Qu’en est-il des institutions qui financent principalement les particuliers pour l’acquisition de leur résidence principale. Comment expliquer cette exclusion par le législateur alors même que la réforme vise également à faciliter le financement des ménages ?
Pour le juge KODJOH-KPAKPASSOU, cette exclusion est sans doute liée à la prise en compte de l’environnement social par le législateur.
L’option offerte à l’établissement de crédit de se faire attribuer l’immeuble hypothéqué, après une mise en demeure infructueuse pose la question des conditions et des modalités pratiques du transfert de propriété. Les participants se sont interrogés sur l’efficacité de la clause d’attribution de propriété en l’absence d’un ordre de l’autorité judiciaire adressé au conservateur de la propriété foncière.
Ce fut également l’occasion d’évoquer l’épineuse question du foncier en Afrique. Un tour de table a confirmé la grande disparité qui existe en la matière dans les différents pays et les difficultés inhérentes.
L’étude détaillée des différentes sûretés comme instruments de sécurisation du crédit a permis d’en déterminer les limites. Les participants ont en effet, bien conscience que la décision d’octroi de crédit repose avant tout sur la bonne connaissance et la qualité du client.
MODULE 3 : « L’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Coopératives : Quel intérêt pour l’activité bancaire ? »
L’objectif recherché dans le cadre de ce séminaire est de faire découvrir dans ses grandes lignes, ce nouveau texte adopté également le 15 décembre 2010. Il est important que les différents acteurs économiques aient un aperçu du nouvel acteur qui fait son entrée dans le paysage juridique et économique.
La place croissante qu’occupent les coopératives dans l’économie des pays africains a conduit le législateur à prévoir un cadre juridique particulier à ce type de structure. A condition qu’ils répondent effectivement aux caractéristiques universellement reconnues d’une coopérative et reprises par le législateur OHADA, les groupements peuvent désormais se constituer en société coopérative avec un capital variable, quel que soit leur domaine d’activité. Que son objet soit commercial ou civil, une société coopérative ne peut être considérée comme société commerciale. Elle fait l’objet d’enregistrement au Registre des sociétés coopératives. Bien plus que dans les sociétés commerciales, les statuts et le règlement intérieur constituent des documents indispensables à tout partenaire d’une société coopérative. Les deux types de société coopérative prévus par l’acte uniforme, à savoir la Société Coopérative Simplifiée et la Société Coopérative avec Conseil d’Administration s’apparentent dans leur mode de fonctionnement à la Société à Responsabilité Limitée pour la première et à la Société Anonyme pour la seconde.
L’attention des banques a été particulièrement attirée sur l’impossibilité de prendre en nantissement les parts sociales de sociétés coopératives. De plus, celles de la Société Coopérative avec Conseil d’Administration ne sont pas négociables.
Un délai de deux années est accordé aux coopératives déjà existantes pour se conformer au nouveau texte.
Au terme des travaux, les participants venus du Bénin, du Burkina Faso, de la République Démocratique du Congo (RDC) et du Togo ont exprimé leur satisfaction par rapport à leurs attentes et à la qualité des débats. Les cas pratiques étudiés, ont également permis selon eux de mettre davantage en évidence certaines difficultés auxquelles pourraient être confrontées les acteurs économiques dans l’application des nouveaux textes.
Dans leurs recommandations, les participants ont souhaité que les nombreuses difficultés soulevées lors de la présente rencontre et qui constituent à leurs yeux un réel frein à la sécurité juridique et judiciaire dans notre espace économique soient portées à la connaissance des organes compétents de l’OHADA, afin que des solutions y soient trouvées. Les participants ont, en outre vivement suggéré que ce genre de séminaire axé essentiellement sur la pratique puisse être multiplié et organisé à l’attention de tous les acteurs susceptibles de contribuer à la mise en application effective des textes.
Le juge KODJOH-KPAKPASSOU a, à son tour, exprimé sa joie pour cette occasion qui lui a été offerte d’échanger avec les participants sur la pratique bancaire et le droit. Selon lui, l’évolution de l’environnement juridique de l’espace communautaire, devrait amener le juriste à davantage de prudence et d’humilité dans l’analyse des textes puisque le législateur par moment opère une rupture avec certains principes fondamentaux de la tradition civiliste à laquelle appartiennent la plupart des pays membres de l’OHADA. C’est d’ailleurs ce que les participants avaient implicitement reconnu en déclarant que c’est grâce à l’avènement de ce droit africain des affaires que la documentation juridique est désormais revue dans les banques ; ce qui n’était pas le cas avant janvier 1998 ; date d’entrée en vigueur des premiers actes uniformes. L’OHADA a par ailleurs révélé, selon les participants, le rôle du juriste dans la banque.
Avant de procéder à la remise des attestations de participation et de déclarer close, la 5ème édition de la Semaine Juridique du Banquier-Espace OHADA, Mme BOCCOVI a tenu à manifester sa gratitude :
Aux participations et à leurs institutions respectives pour leur confiance et leur fidélité. La présence à ce séminaire des participants venus de la RDC, nouvellement membre de l’OHADA, a été particulièrement saluée ;
Au juge KODJOH-KPAKPASSOU qui a bien voulu prendre part à ces assises et qui a su y apporter une touche particulière par son originalité ;
À l’UNIDA, pour sa bonne contribution à la diffusion de l’actualité juridique à travers son site internet www.ohada.com.
C’est, loin de l’activité bancaire, à GANVIE, célèbre village lacustre béninois, situé à une vingtaine de kilomètres de Cotonou, la capitale économique que les séminaristes ont scellé les liens qu’ils ont pu nouer durant les cinq journées passées ensemble.
KODJOH-KPAKPASSOU William Mme BOCCOVI Arlette
Magistrat, Juge au Tribunal de Première Instance de Cotonou Gérante de SIRE-OHADA